Démystifier la fraude alimentaire.

Commençons par une petite mise en situation.

Vous êtes à l’épicerie. Dans l’allée des pains et céréales, vous voulez trouver une boîte de céréales ou de granola qui pourra agrémenter votre yogourt grec matinal. Vous vous préoccupez de votre santé et voulez acheter un produit nutritif, pas trop sucré, pas trop chimique, protéiné; bref, un vrai produit, ce qu’il a de mieux. Reste que vous êtes à l’épicerie du coin et que votre choix est limité. Vous avez un faible pour le petit goût sucré du miel, et votre oeil s’arrête sur trois produits: les Honey Bunches of Oats aux amandes, une classique boîte de Cheerios qui vous rappelle votre enfance et une boîte de Kashi GoLean

 

 

 

Qu’achetez vous? Le choix pourrait sembler évident. Il l’était pour moi – la boîte de GoLean sous le bras, je serais rentrée chez moi, confiante d’avoir fait le meilleur achat.

Peut-être pas. En fait, cette boîte de Kashi GoLean, vous ne la verrez plus telle quelle sur les étagères aujourd’hui (ou du moins, vous ne devriez plus). En 2011, un recours collectif a été intenté aux États-Unis contre Kashi. Les demandeurs alléguaient que les produits Kashi, étiquetés comme étant « all natural« , étaient en fait composés presque exclusivement d’ingrédients synthétiques, artificiels et ultra-transformés. La liste de composantes artificielles trouvées dans les produits Kashi est impressionnante et troublante. Kashi, le choix santé? Pas tant que ça, finalement.

En 2014, les parties sont arrivées à un règlement : Kashi a été condamnée à verser cinq millions au recours collectif et à cesser l’utilisation des termes « All Natural » et « Nothing Artificial » sur ses emballages.  Une victoire pour le consommateur? J’en doute. Kashi a travaillé exceptionnellement fort pour garder cette poursuite sous couvert, et la compagnie garde encore aujourd’hui sa réputation comme étant l’alternative santé, nutritive et naturelle dans l’éventail des produits céréaliers trouvés au supermarché.

Personnellement, j’ai pris connaissance de cette affaire à l’automne 2017 et depuis, elle ne cesse de me tracasser. Cette affaire est un cas classique de fraude alimentaire – une compagnie, pour des motifs financiers, présente ses produits d’une certaine manière alors que la réalité est toute autre.

Comment le consommateur doit-il réagir face à cette pratique de l’industrie? Comment peut-on faire des choix sains si même lorsque nous croyons acheter le meilleur produit, il peut nous rendre malade? Habitée par cette réflexion, je me suis attelée à démystifier, quelque peu, l’enjeu complexe qu’est celui de la fraude alimentaire.

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La fraude alimentaire, définie simplement, est la fausse représentation intentionnelle d’un produit ou d’un aliment pour un gain économique. Ce type de fraude peut se manifester par des slogans ou logos trompeurs, une liste d’ingrédients incomplète, le changement d’une date de péremption, l’utilisation d’un produit de substitution ou d’une appellation contrôlée sans obtenir l’accréditation légale nécessaire… j’en passe. La fraude alimentaire est un fléau qui, en toute vraisemblance, est difficile à éliminer.  Au cours de mes recherches, certaines explications à cette difficulté ont été récurrentes. Je partage ici brièvement les deux qui m’ont semblé les plus fondamentales.

Premièrement, comme je viens de le mentionner, la fraude alimentaire peut prendre mille et une formes, et cette multiplicité ne peut qu’augmenter avec le développement des nouvelles technologies et la créativité des acteurs de l’industrie décidés à user de cette technique pour faire du profit. Par exemple, plus l’emballage des produits alimentaires contient des indications qui font appel aux préférences alimentaires et valeurs des consommateurs (produit local, plant-based, naturel, sans OGM, équitable, élevé sans cruauté, etc.) plus les risques s’accroissent que ces indications non-contrôlées soient utilisées de manière non-légitime. Ainsi, il est d’autant plus difficile de déceler la fraude alimentaire, de la prévenir et de réglementer en conséquence.  En fait, selon Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politique agroalimentaire à l’Université Dalhousie :

Il y a deux problèmes liés à la fraude alimentaire: on ne connaît pas l’ampleur du problème et on n’est pas certain de la façon, de la méthode efficace pour régler le problème.

Deuxièmement, l’opacité de notre système alimentaire contribue aux risques de fraude. La chaîne alimentaire industrialisée est longue et complexe : un aliment peut parcourir des centaines de milliers de kilomètres, à travers des centaines de mains, pendant des semaines ou même des mois, avant de se rendre du producteur au consommateur.  Ainsi, les deux acteurs principaux de cette chaîne sont complètement dissociés – le producteur frauduleux ne prendra peut-être jamais conscience des effets de son acte. Il va sans dire qu’il serait moins aisé pour un producteur de vendre directement un produit contrefait à un consommateur, sachant pertinemment qu’il est en train de le tromper.

Alors, comment prévenir la fraude alimentaire? La tendance actuelle vers l’établissement de circuits courts pourrait contribuer à une diminution du phénomène. Sur le plan réglementaire, au Canada, la lutte contre la fraude alimentaire est prise en charge par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui centre son intervention sur diverses inspections à plusieurs niveaux de la chaîne alimentaire et la conception d’outils pour les consommateurs et les acteurs de l’industrie. En cas d’identification d’un produit non conforme, l’ACIA procédera aux mesures de contrôle prévues par la loi. Ces mesures sont plutôt réactives, prenant d’assaut le problème en aval plutôt qu’en amont. De fait, l’ACIA délègue les mesures de prévention de la fraude alimentaire à l’industrie, en conseillant aux entreprises de choisir des fournisseurs de confiance et de vérifier l’authenticité des ingrédients utilisés dans la fabrication de l’aliment, par exemple. Je crois qu’il est possible de mettre en doute l’efficacité de ces conseils, quoique livrés de bonne foi. Même si la fraude alimentaire peut effectivement résulter de la négligence d’une industrie canadienne qui transige avec un fraudeur (dans ce cas, les conseils de l’ACIA peuvent s’avérer bien utiles), le fraudeur canadien tentera de trouver les trous dans l’attirail réglementaire actuel afin d’arriver à ses fins. Serait-il possible pour l’État d’accentuer l’aspect préventif de la réglementation? La complexité de l’enjeu rend la tâche plus qu’ardue.

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Il va sans dire que la conséquence principale de la fraude alimentaire est le risque qu’elle porte pour la santé publique, individuelle et collective. Toutefois, elle a une autre conséquence, insidieuse et invasive – elle érode, tranquillement, un scandale à la fois, la confiance que nous avons envers notre système alimentaire. Selon une étude menée en 2017 par Sylvain Charlebois, ce mal se ferait sentir au Canada – 57.4% des répondants reconnaissent être inquiets au sujet d’aliments contrefaits ou falsifiés produits au Canada. Le chiffre monte à 73.9% lorsqu’il est question de produits venant d’outremer. Cette conséquence est grave, car la confiance s’acquiert beaucoup plus difficilement qu’elle ne se perd – « la confiance se gagne en gouttes et se perd en litres », comme dirait Sartre.

Ici, une technologie émergente, considérée par nombreux comme étant révolutionnaire, pourrait avoir un impact considérable. Je fais référence à la chaîne de blocs, plus communément appelée blockchain. La chaîne de blocs est la technologie qui est à la base de la cryptomonnaie Bitcoin,  mais elle a d’innombrables autres utilités potentielles, l’une d’elle étant particulièrement pertinente pour rétablir la confiance des consommateurs dans notre chaîne alimentaire et rendre la fraude alimentaire quasi-impossible pour un acteur de l’industrie. En théorie, la chaîne de blocs pourrait nous permettre de tracer le parcours d’un aliment du producteur au consommateur. Ce, à l’aide d’une base de données assurément fiable et complètement transparente (là est tout l’avantage de la chaîne de blocs). Le New Food Magazine utilise cet exemple : dans un élevage, le profil ADN de chaque boeuf destiné à la consommation serait entré dans la chaîne de blocs. L’information pertinente liée à chacune des étapes de la chaîne de production (abattage, emballage, etc.) serait ensuite entrée à son tour dans la chaîne, en lien avec le profil individuel de chacun des boeufs. Dès lors, le consommateur, à l’épicerie, pourrait scanner un code QR sur l’emballage de la viande et obtenir toute cette information, jusqu’au profil génétique du steak qu’il a entre les mains. L’épicier qui tente de faire passer de la viande AA pour de la AAA serait bien mal pris, son acheteur pouvant, d’un clic, avoir l’heure juste. En théorie, le principe de cet exemple peut être transposé à n’importe quel animal, aliment, ou produit transformé, et toute sorte d’information peut être emmagasinée dans la chaîne de blocs – les possibilités sont infinies. Mais nous n’en sommes pas là. Le réel défi est l’implantation de la technologie et son utilisation par les acteurs de l’industrie.

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La chaîne de blocs est une technologie incroyablement complexe, et je ne me suis pas attelée à vous la présenter en détail car cet article n’a pas pour but de se pencher en profondeur sur ses impacts réels. Toutefois, pour aller plus en profondeur, si le tout vous intéresse, je vous laisse avec les références d’articles et de podcasts qui m’ont permis d’en apprendre davantage.

 

 

 

 

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