Les silences du Guide alimentaire canadien

Dans la tôlée de commentaires, de critiques, d’éloges et de questions que soulève la nouvelle mouture du Guide alimentaire canadien, une question importante se pose : Comment les Canadien.ne.s pourront-ils mettre autant de fruits et de légumes dans leur assiette considérant le coût élevé de ces aliments nutritifs? Pour beaucoup (trop) de familles canadiennes, la belle assiette blanche remplie de couleurs vives et de promesses de santé ne représente malheureusement qu’un mirage de changement.

Au problème d’accessibilité économique, je crois qu’une autre grande question mérite notre attention, soit celle de la provenance de nos aliments et de leur mode de production. Sur ces points, le Guide alimentaire reste silencieux…

Si ces deux enjeux paraissent à première vue distinct, je crois qu’il est important de revoir notre conception de nos systèmes alimentaires, puisque les silos entre les enjeux des producteurs et des consommangeurs ne sont, à mon avis, qu’un écran de fumée devant un problème plus grand qui touche les fondements de notre société. Je crois qu’il est essentiel de réfléchir aux deux « côtés de la médaille », et également de réfléchir à comment ceux-ci sont interreliés. 

Pour ce faire, revenons d’abord quelques pas en arrière : les aliments que nous consommonssont traités comme des commodités, c’est-à-dire que les aliments sont considérés comme des biens qui ont seulement une valeur marchande. On conçoit les produits de la terre comme des pièces d’automobile ou comme des morceaux de vêtements. Pourtant, il existe un lien profond entre les aliments que nous mangeons et les écosystèmes vivants (humain, animal et végétal) : nos aliments sont produits par des êtres humains (des citoyens qui sont eux aussi consommangeurs) qui utilisent des intrants (chimiques ou non) dans le but de produire de la nourriture. Les activités agricoles ne se produisent pas en vase clos et ne sont pas aussi hermétiques que l’industrie agroalimentaire souhaitent nous le faire croire. Aussi, derrière les côtelettes de porc emballées dans un petit carton de styromousse, il y a un producteur porcin, un transporteur, un préposé à l’abattage, un transformateur, un distributeur, un détaillant et finalement un acheteur. La chaine « de la ferme à la table » est souvent plus complexe que l’on veut bien nous le montrer.

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Le 19 novembre dernier, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la Déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones ruralesavec 119 voix pour, 7 voix contre et 49 abstentions (soulignons que le Canada s’est abstenu sur ce vote). Ce texte marque une grande victoire pour les personnes vivant de l’agriculture partout à travers le monde. En effet, le projet de la Déclaration ayant été introduit dans les instances onusiennes par La Via Campesina il y a presque 10 ans, son adoption par l’Assemblée générale signifie la reconnaissance du statut particulier des paysans et autres travailleurs agricoles et reconnait le besoin de leur accorder une protection particulière. Mais en quoi l’adoption de cette Déclaration est-elle liée au Guide alimentaire canadien me direz-vous? Si l’on considère que le nouveau Guide fait la promotion de l’importance de manger des fruits et légumes en grande quantité, il est central de se demander comment ces aliments sont produits et quelles sont les conditions de travail dans lesquelles ces aliments sont produits?

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Dans l’optique de l’élaboration d’une Politique alimentaire pour le Canada (politique promise par le gouvernement Trudeau lors de son élection; politique qui se fait toujours attendre), je crois que de nous pencher sur les enjeux de production dans notre système alimentaire permet d’offrir des réponses à la question de l’accessibilité économique des aliments pour les Canadien.ne.s moins fortunés. La conceptualisation de notre système alimentaire « de la ferme à la table », c’est-à-dire dans l’ensemble de son cycle, de son écosystème, nous offre des pistes de réflexion intéressante.

De la ferme…

Dans un monde où les systèmes de production alimentaire sont grandement influencés par les politiques néolibérales et par les objectifs commerciaux des sociétés transnationales de semences, de productions animale et végétale et d’import-export, la Déclaration reconnait les pressions exercées par les gros joueurs de l’industrie, ainsi que la vulnérabilité de nos cultivateurs (et cultivatrices par ailleurs) et met en lumière les racines du problème. En ce sens, la Déclaration vise à mettre de l’avant un système alimentaire reconnecté avec les individus qui y sont au cœur : un système à une échelle saine, et un système ayant un visage humain. La Déclaration soutient la mise en place des techniques d’agroécologie et de moyens de production détenus par les paysans et qui favoriseront une transformation vers des systèmes alimentaires durables. La Déclaration reconnait également le rôle essentiel des producteurs dans la préservation de la biodiversité puisque la préservation de cette dernière est garante de leur subsistance et de leur source de revenu. En ce sens, le lien capital entre les producteurs et les écosystèmes est l’une des clés d’une transition vers une agriculture durable. La promotion de la santé humaine comprend également la santé de nos écosystèmes, un point crucial ignoré par la nouvelle mouture du Guide alimentaire.

…À la table

Les producteurs sont également plus que des travailleurs, ils sont aussi des consommangeurs. Le format de la Déclaration affirme que la sécurité alimentaire et la sécurité d’emploi, pour n’en nommer que quelques-unes, se contextualise dans une société qui est interconnectée. Donc loin d’essentialiser les paysans à leur rôle de nourriciers, la Déclaration propose que les gouvernements prennent également action notamment sur les plans de la liberté d’association et de l’accès à l’éducation et aux soins de santé. La Déclaration se trouve à être en quelque sorte, un plaidoyer pour une société plus juste dans son ensemble. Là où le Guide alimentaire demeure silencieux, la Déclaration dit que la santé passe par un ensemble de facteurs et que nous devrions aspirer collectivement à des communautés meilleures. 

En somme, la Déclaration comporte également un volet important sur le rôle des gouvernements en tant que facilitateurs. Si on transposait le cadre de la Déclaration au Guide alimentaire canadien, on nous dirait que certes il faut « manger mieux », mais qu’il faut comprendre, en tant que consommangeurs, que nos aliments proviennent de quelque part. Le cadre de la Déclaration pointe également vers un engagement des gouvernements dans la mise en place de mesures favorisant ces saines habitudes.

Les écosystèmes alimentaires

Je dois avouer qu’il est difficile d’expliquer cette chaine, cet écosystème alimentaire, mais aussi environnemental et social. Selon moi, le problème n’est pas simplement de dire que les aliments sains sont trop chers, mais il faut plutôt situer cette discussion à un niveau plus grand : se questionner sur pourquoi les gens, Monsieur-Madame-Tout-Le-Monde, n’ont pas les moyens de nourrir leur famille avec ces aliments? 

De balayer la question du revers de la main en revendiquant une simple baisse des prix serait une tragédie parce que les répercussions se feraient ressentir sur les êtres vivants – humains, animaux et plantes – de notre monde. Ce n’est pas vrai qu’on peut élever des poulets à 3,49 $ /lb, ni que le coût d’une tomate mexicaine achetée en plein mois de janvier soit de 3,99 $ /lb (prix que tout acheteur sensible trouvera scandaleux d’ailleurs). 

Je m’explique à l’aide d’un exemple simple : les fraises du Québec. En été, nous avons des fraises locales délicieuses, savoureuses et juteuses. Idéal, non? Certainement ce que le nouveau Guide alimentaire recommanderait. Mais nos fraises constituent néanmoins un luxe pour de nombreux Québécois.e.s. Nos fraises sont cultivées de manière intensive à l’aide d’intrants chimiques sur de grandes surfaces pour maximiser la rentabilité. Nos fraises sont cueillies par des travailleurs agricoles saisonniers qui reçoivent 12,21 $ /heure et ne bénéficient que d’une très mince couverture sociale, voire aucune. Et en hiver, les consommangeurs ont à s’approvisionner de fraises importées de la Californie ou du Mexique à 4,99 $ le casseau dont le goût n’a par ailleurs rien à voir avec nos fraises québécoises…

Pourquoi ne pas faire la promotion d’un système alimentaire de proximité où les producteurs et les consommangeurs ont un visage humain et ont une dignité pour vivre une vie libre d’insécurité financière et alimentaire?

Réfléchissons un instant aux impacts de baisser le prix de vente des fraises : diminution des salaires des travailleurs, diminution des revenus pour les producteurs, adoption de pratiques agricoles visant à maximiser la rentabilité des récoltes, sans parler de l’augmentation du coût de la vie jumelé au stress financier et psychologique. Maintenant, réfléchissons aux répercussions de l’augmentation du salaire minimum (voire la mise en place d’un revenu minimum garanti) : soudainement le prix du casseau de fraises semble moins faramineux…

Cela nous mène où?

Le Guide alimentaire est donc un premier pas vers une alimentation plus saine, libre des influences lobbyistes (ce dont les Canadien.ne.s ont de quoi se réjouir grandement). Mais il est important de réaliser que les critiques qui lui sont adressées doivent aller plus en profondeur.

Dans la perspective d’une Politique nationale en alimentation, je pense qu’il faille encourager le gouvernement du Canada à se positionner en faveur, non seulement d’habitudes alimentaires saines, mais également de reconnaitre les nombreux points de connexion de nos systèmes alimentaires. Le gouvernement du Canada, à travers cette politique, doit s’inspirer des instruments internationaux qui offre un cadre d’analyse dans une perspective d’équité et de pérennité de la ferme à la table.

Pourquoi ne pas faire la promotion d’un système alimentaire de proximité où les producteurs et les consommangeurs ont un visage humain et ont une dignité pour vivre une vie libre d’insécurité financière et alimentaire? Pourquoi ne pas mettre en place des mesures concrètes pour assurer à tous et toutes un accès aux aliments remplis de vitamines et minéraux? Pourquoi ne pas imaginer une société où la boite de légumineuse, la tête de brocoli et la botte de carottes semblent aussi alléchantes qu’un toasté all dressedavec une canette de boisson gazeuse? Pourquoi ne pas aspirer une société où tout le monde a un revenu décent et où on nivelle les niveaux de vie vers le haut plutôt que d’essayer de toujours réduire les prix? Ce qui me fâche dans le silence du Guide alimentaire et dans les réactions qui ont suivi sa publication est l’absence de compréhension des enjeux alimentaires dans leur globalité : les agriculteurs, les fermières, les producteurs bovin, porcin ou laitier, les apicultrices, les ouvriers agricoles, les semencières, les pêcheurs, les maraichères ET les consommangeurs, d’ici et d’ailleurs, font tous et toutes partie d’un seul et même univers agroalimentaire. Et les décisions politiques alimentaires doivent prendre en considération les intérêts de tous les êtres vivants inclus dans l’équation.

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